Entretien avec Mickaël Correia

Depuis toujours les hommes tapent dans le ballon, que ce soit dans les anciens empires chinois, dans les civilisations aztèques ou même dans l’Empire de Rome. 

Au cours du Moyen-Âge, d’autres ancêtres du football moderne se pratiquaient. Ces parties étaient notamment jouées les mardis gras, en opposant deux communautés distinctes (mariés contre célibataires par exemple). Ces jeux étaient surtout populaires dans les régions de l’ouest de la France, et en Grande-Bretagne. J’appellerais ça un “proto-football”. On assistait à des parties très violentes dans lesquelles des yeux étaient crevés et des jambes cassées. Les parties se jouaient à travers champs, durant des heures et sans règles bien définies. 

Avec les débuts du capitalisme au XVIIème siècle, la bourgeoisie privatise peu à peu les terres agricoles. Les jeux de ballon vont alors peu à peu disparaître, faute de lieux disponibles pour le pratiquer. 

A partir du XIXème siècle, des écoles prestigieuses britanniques vont remettre ce sport antique au goût du jour. De nombreux autres sports ont pour berceau la Grande- Bretagne, et sont popularisés à la même époque, à l’instar du tennis ou du rugby. Après avoir été codifié en 1863 par d’anciens élèves de ces écoles, le football va parvenir à s’exporter dans le monde industriel. Il y est introduit par le corps patronnal, qui voit en celui-ci un bon moyen d’inculquer des valeurs essentielles à leurs ouvriers. Obéissance, culture du chef ou encore division industrielle sont aussi importantes dans le football que dans l’industrie. La Révolution Industrielle, poussée par un captalisme émergent, va 

donc permettre l’essor global du football moderne en Angleterre. 

D’une certaine façon, je dirais que le capitalisme a d’abord fait disparaître le football, avant de le réintroduire d’une manière plus standardisée. 

La “semaine anglaise” va être l’un des moteurs de l’émergence du football moderne. Celle-ci permet aux ouvriers d’être libres le samedi après-midi, et donc de se livrer à de nouvelles occupations. Par crainte que pendant ces périodes, les joueurs ne se syndicalisent ou ne s’alcoolisent au pub, le patronnat va avoir une raison de plus de prôner la pratique du football auprès du prolétariat. En à peine trente ans, il prend une place centrale dans la vie des ouvriers. Bien que l’aristocratie britannique aie réintroduit cette pratique, elle va finalement en être dépossédée au profit du ouvrier. Le ballon rond a une importance telle dans l’industrie, que des ouvriers sont recrutés dans certaines entreprises grâce à leurs capacités footballistiques. 

Le football moderne va aussi être un moyen de confrontation, opposant notamment classes populaires et aristocratie. 

Interview

Comment les premiers championnats se sont-ils mis en place? 

En Angleterre, la mise en place du premier championnat a été le fruit d’une lutte entre deux camps. D’abord, celui des tenants de l’amateurisme: l’aristocratie, pour laquelle le football devait rester un loisir et un spectacle délié de tout enjeu lucratif. L’autre camp est celui des tenants du professionalisme (secteur industriel) pour qui le football représente une opportunité de gains financiers considérables. La Football Association est initialement réticente à la création d’un championnat, car celle-ci ne veut pas que le football soit lié à tout enjeu financier. Pourtant, l’argent est au coeur de la création du premier championnat d’Angleterre dans les années 1880, poussé par l’abnégation du patronnat industriel. 

En France, la même opposition est visible, et les clubs détenus par de grandes industries tels que Le Havre, Saint-Etienne ou encore Sochaux menacent d’une cission avec la Fédération Française de Football. Cette mise sous pression de la FFF va aboutir à la création du premier championnat de France. De tous temps, et dans toutes les régions touchées par le football, la course au rendement et au profit a été le moteur du développement de ce sport, parfois au détriment de l’aspect sportif. 

Par quels procédés le football s’est-il diffusé aussi largement et rapidement à travers le monde? 

Il est vrai que le football s’est développé très rapidement. En une trentaine d’années à peine, tous les continents étaient concernés par cette pratique sportive. Cette diffusion doit notamment son ampleur au réseau anglais découlant du vaste empire britannique. Ceux-ci sont présent partout sur le globe par leurs colonies. 

Le football s’est ainsi grandement développé dans les grands ports mondiaux. Les marins et commerçants britanniques voyageant beaucoup, ils ont par leurs traversées exporté le football à travers le monde. En Amérique du Sud, les premières équipes d’Uruguay et d’Argentine sont notamment créés par ce biais. En Europe, on observe à peu près le même phénomène: Au Havre en France, à Gênes en Italie, à Bilbao en Espagne ou encore à Rotterdam aux Pays-Bas. 

Un autre secteur a également marqué la diffusion du football de manière significative, c’est le secteur de la construction de chemins de fer. Les entreprises britanniques étaient en effet chargées de la construction de ces voiries dans certains pays étrangers, comme l’Uruguay ou l’Egypte, favorisant l’implantation du football dans ces pays. 

En dehors du secteur industriel, le football doit également son expansion aux étudiants étrangers des prestigieuses écoles anglaises. Ces élites, une fois leur formation en Angleterre terminée, rentraient dans leurs pays respectifs, emportant avec eux la culture du football. Ils ramenaient le ballon au pays. C’est de cette façon que le football s’exporte à São Paulo au Brésil, à Cascais au Portugal ou encore à Paris. 

C’est moins structurel, mais les lois du football très simples à assimiler et le peu de moyens nécessaires à sa pratique ont largement participé de la diffusion du ballon rond dans la monde. 

Avant la création des premières instances du football international, comment s’organisaient les premières rencontres internationales, et qui opposaient-elles? 

Les premiers matchs internationaux se jouaient surtout entre pays voisins. Ces parties opposaient des aristocrates des pays concernés. Il n’y avait pas de système de sélection, et l’organisation se faisait principalement entre les joueurs directement. Les rivalités, britanniques notamment, étaient le moteur de l’organisation de ces rencontres (entre le Pays de Galles, l’Angleterre et l’Ecosse par exemple). Sur le continent, la proximité était également un facteur clé de l’organisation de ces matches internationaux. 

Les liens d’amitiés historiques permettent aussi de mettre en place une part importante de ces premiers matches, entre la France et l’Angleterre par exemple. Avant la mise en place de la FIFA en 1904 puis d’autres grandes instances du fotball, les matches internationaux se jouaient avec des moyens très modestes. Au départ, il n’y avait donc que des matches amicaux. 

Au début du XXème siècle, le football se répand largement en Europe et dans le monde, mais où est-ce que la ferveur des supporters était- elle à son comble? 

Déjà à la fin du XIXème siècle, on assistait à des faits marquant en Angleterre. Au début des années 1920, on dénombre par exemple plus de 200 000 spectateurs lors d’une finale de coupe d’Angleterre. 

Je dirais que l’engouement des supporters a surtout évolué dans l’entre-deux-guerres, mais je ne pense pas que l’on puisse parler de ferveur comme on l’entend aujourd’hui. En Angleterre, on assistait aux rencontres en famille, et le stade était un haut lieu de la sociabilité ouvrière. 

C’est la période aussi durant laquelle les premières associations de supporters se créent en Angleterre, dans le nord de l’Italie, ou même en Amérique du Sud. Mais ces associations sont, à ce moment là, surtout des lieux de rencontre et de partage, permettant de réunir tous les premiers “tifosi”. 

Le football a aussi été un outil de propagande. En Russie, il était utilisé pour mettre en valeur les personnalités politiques du pays. C’était un moyen de mettre en scène le pouvoir. 

Dans le même temps, comme je le raconte dans mon livre, le stade était également un merveilleux outil de résistance. L’anonymat des foules permettait d’échapper au regard des différentes polices politiques, et de se retrouver avec d’autres résistants. Dans un régime dans lequel une réunion de plus de trois personnes dans une même pièce était suspecte et passible de sanctions, le stade représentait un moyen de s’y soustraire. Il existait aussi de nombreux gestes symboliques dans les stades. Huer le Dynamo Moscou représentait une critique ouverte au régime stalinien. Supporter le Spartak Moscou était au contraire une manière de soutenir le peuple. En Espagne, supporter le FC Barcelone était vu comme un pied de nez au régime de Franco, alors que le Real Madrid était vu comme le club étatique. Il y avait différentes manières de s’opposer aux régimes totalitaires d’une façon masquée. Le stade était une tribune politique. 

On ne peut pas réellement parler de ferveur au début, mais plutôt d’engouement autour de ce sport, surtout pour les combats politiques qu’il permettait de mener. La culture du supporter est réellement apparue à partir des années 1950. 

Dans votre livre “Une Histoire Populaire du Football”, vous liez avec beaucoup de pertinence ballon rond et régimes totalitaires de la Seconde Guerre Mondiale. Avez-vous un lien à faire entre ces deux thématiques dans d’autres pays, ou à d’autres époques? 

De tous temps et dans tous les régimes totalitaires, on a vu des résistances footballistiques s’opposer aux dirigeants. 

Certains clubs étaient pleinement impliqués dans cette lutte. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, des joueurs de l’Ajax Amsterdam ont lutté face au nazisme, en organisant un réseau de sauvetage de juifs aux Pays-Bas. En Norvège aussi la fédération va lancer une campagne de boycott des matches sous l’autorité nazie. 

Dans les années 1980 aussi le football est un lieu principal de contestation face aux régimes totalitaires. Pour moi, Socrates au Brésil est le symbole même de cette lutte. Son club, celui des Corinthians, avait mis en place dès le début des années 1980 des 

pratiques démocratiques d’autogestion qui furent révolutionnaires dans ce pays. Cela a été un geste très important au Brésil, là où le football est une véritable religion. Le peuple a vu le club des Corinthians comme un “laboratoire de la démocratie”, qui avait la sympathie d’une grande partie de celui-ci. Son succès était d’autant plus établi que le club rayonnait sur la scène régionale et nationale. Ces pratiques ont finalement abouti en 1985 à la chute de la dictature, avec comme têtes d’affiches lors des manifestations qui la précédèrent les joueurs des Corinthians. Encore aujourd’hui, le groupe des Corinthians a été l’un des rares groupes organisés et établis à appeler à ne pas voter pour Bolsonaro. Il existe dans ce club une réelle culture démocratique. 

En Algérie aussi, la contestation face au régime de Bouteflika est partie des stades. Dès les premières manifestations en février 2019, les groupes de supporters sont les premiers collectifs organisés à y participer. L’hymne de ces manifestations est d’ailleurs issu d’un chant de supporters. 
Au Chili aussi, les supporters du Colo Colo ou de la Universidad de Chile sont en tête des manifestations d’opposition au régime. 

Le football a toujours été le creuset des résistances face aux régimes autoritaires. 

Pourquoi faut-il lire “Une Histoire Populaire du Football”? 

L’histoire du football que l’on connaît tous nous est dictée par les institutions du football. On nous parle des clubs et des joueurs de légende, de Pelé à M’Bappé. Ce discours est toujours le même, et ne parle du football que comme un sport, sans le lier au domaine politique par exemple. Cette histoire est avant tout là pour servir le football en tant qu’industrie. Dans ce livre, j’ai voulu écrire une autre histoire de ce sport. Une 

histoire plus authentique, écrite par les supporters, les joueurs, et par les gens qui aiment le football d’une manière plus générale. L’intérêt de ce livre est de découvrir une autre histoire qui à la fois cachée et que l’on connaît tous, car c’est la nôtre. 

Mon livre est là pour retranscrire cette histoire populaire du football, allant à contresens de son histoire plus institutionnelle. 

Entretien réalisé par Amaury Goncalves pour Les Réservistes

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