Comment et quand sont apparus les premiers supporters ?

Par Bertrand BIELLE

De l’indifférence à l’appartenance, les réservistes vous font découvrir les prémices du supportérisme dans le football. Bienvenue en Angleterre, au XIXe siècle.

Loin de nous l’idée de vous décevoir, mais les premiers supporters l’ont été malgré eux. En Angleterre, les clubs procédaient par affiliation, et recrutaient des « membres ». Faute de place sur le terrain, ils ne pouvaient pas tous participer à chacune des rencontres. Pour des questions d’effectif, de talent, de blessure ou d’âge, la plupart d’entre eux étaient contraints d’observer le match depuis les tribunes. D’un regard un peu désabusé, ils regardèrent ainsi les matches sans véritablement manifester leur enthousiasme.

Les « spectateurs »

Les stades n’étaient donc pas le théâtre d’ambiances folles, comme c’est le cas aujourd’hui partout dans le monde, que ce soit à Liverpool ou à Istanbul, en passant par Buenos Aires. Mais ils n’étaient pas pour autant vides, puisque les amis et les proches des membres du clubs s’invitèrent au stade pour partager un moment convivial. Ils devinrent ainsi à leur tour supporters par association. Ils furent suivis par les locaux, pas nécessairement liés au club, mais attirés par le spectacle dont ils avaient entendu parler dans le quartier. La plupart des membres étaient plutôt jeunes et profitaient de leur temps libre du samedi après-midi pour venir au stade. Le samedi midi qui, encore aujourd’hui, est synonyme de jour de match (Game Day) en Angleterre.

Association Game (1888)

Les stades se remplissent, mais les spectateurs ne s’identifient pas encore aux clubs. En 1863, Forest et Barnes, deux des clubs fondateurs de la fédération anglaise, se sont affrontés au terme d’une rencontre, où il n’y eut, au sein du public, aucun signe de parti pris en faveur de l’une ou l’autre équipe. La partie aurait seulement suscitée « de vifs applaudissements de la part des spectateurs » en faveur des deux équipes d’après le journal The Bell’s Life.

L’appartenance à une communauté

Entre les années 1870 et 1880, plusieurs très grands clubs d’aujourd’hui sont créés en Angleterre. Et à l’image de Manchester United, fondé par des ouvriers du dépôt ferroviaire du Lancashire et Manchester City,e club établi en 1880 par des membres d’une église de West Gorton, les instituions sont créés par des communautés. La communauté ouvrière est très représentée, et valorisée pour sa virilité, sa loyauté et sa fidélité envers le club qu’elle soutient. Les clubs britanniques sont pour la plupart les « produits de la sociabilité ouvrières et de la culture masculine dans la rue » peut-on lire dans « Supporters et Hooligans en Grande-Bretagne depuis 1871 » de Patrick Mignon. Ces clubs sont nés dans de petites agglomérations (souvent des quartiers comme Arsenal) autour des entreprises, des usines et des églises. 

“Sunderland v. Aston Villa 1895”, de Thomas M.M. Henry (1895)

La sympathie d’autrefois des spectateurs se mue alors en ferveur. L’affiliation à un club permet désormais à ceux qu’on nomme les « supporters » de découvrir un enjeu au-delà du jeu. Non seulement ils ressentent dorénavant une fierté et une satisfaction personnelle lorsque leur équipe gagne, mais ils commencent aussi à progressivement installer une compétition et une hostilité sportive entre leurs clubs voisins.

La naissance des rivalités

Le football d’avant pré-1914 est organisé sur une base régionale, et une rivalité entre les différentes communautés ouvrières d’une région. Le derby de l’Est du Lancashire entre Burnley et Blackburn est l’une des rivalités historiques les plus fortes du pays à l’époque, et encore aujourd ‘hui. Une véritable « compétition industrielle entre les filatures de coton de la ville » comme l’explique le site « les cahiers du football ». Les deux équipes s’affrontèrent à treize reprises entre 1879 et 1888, date de la naissance du Championnat professionnel d’Angleterre.

En 1890, une rencontre entre les deux rivaux marquera les mémoires et sera baptisée « L’émeute de Burnley ». Très impliqués, les supporters de Burnley n’acceptèrent guère une décision arbitrale de l’arbitre et envahirent par milliers la pelouse. En allant jusqu’à pourchasser l’arbitre dans la tribune, à l’extérieur du stade et même dans une demeure voisine. Un incident qui marqua le début d’une réputation galvaudé des supporters, qu’on surnommera plus tard pour certains les « Hooligans »